Lettre restée sans réponse à l’UNESCO :
En octobre 2024, notre association Les Vélos Marin Martinique a officiellement écrit à l’UNESCO. L’objectif : attirer l’attention et ouvrir un dialogue autour de la reconnaissance du vélo populaire en tant qu’élément du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Vous pouvez lire l’article que nous avons publié à cette occasion ici : https://lesvelosmarin.wordpress.com/2024/10/24/la-pratique-du-velo-populaire/

Nous demandions une reconnaissance claire, symbolique et significative d’une pratique modeste mais essentielle, ancrée dans le quotidien de millions de personnes à travers le monde. Huit mois plus tard : aucune réponse. Hormis un accusé de réception automatique, le jour même de l’envoi.
De quoi parlons-nous ?
Le vélo populaire, ce n’est ni une tendance, ni un objet de consommation, ni un produit de performance. Ce n’est ni le vélo subventionné, ni le vélo high-tech, dernier modèle des vitrines urbaines. C’est celui qu’on récupère, qu’on répare, qu’on transmet. Celui qui passe d’un adulte à un enfant. Celui qui circule dans les quartiers, les campagnes, malgré le manque d’infrastructures.
C’est un outil de solidarité, un moyen de liberté, un vecteur d’indépendance, de lien social, d’apprentissage. Même dans la précarité, c’est un outil indispensable. En Martinique, comme ailleurs, des centaines de familles en dépendent chaque jour pour se déplacer, travailler, étudier, vivre. Et malgré l’oubli institutionnel, le vélo populaire reste fertile.
Une pratique noyée
Pourtant, ce vélo-là est noyé dans la masse : consommation, sport, technologie, style de vie… Cette confusion masque une réalité fondamentale : le vélo populaire n’est ni reconnu, ni valorisé. Il est invisible dans les discours officiels, absent des politiques publiques, ignoré par les grandes institutions culturelles.
Et surtout : aucun cadre spécifique n’existe pour le définir, le défendre, le promouvoir, ni au niveau national, ni international.
Tout vélo peut devenir populaire. Mais tout vélo ne l’est pas. C’est une question de contexte, de pratiques, de valeur sociale. Tant que cette distinction n’est pas posée, la réalité du vélo populaire restera niée.
Dans notre lettre à l’UNESCO, nous disions :
« Le vélo populaire dépasse son rôle de simple moyen de déplacement : il est lien social, liberté, équité, outil intergénérationnel, moteur concret de la transition écologique. »
Mais ce vélo-là, personne ne le nomme. Il reste absent des récits culturels officiels. Qui prendra cette pratique au sérieux ?
L’oubli d’un outil vital
À toutes les échelles , locale, nationale, mondiale , aucune structure ne porte aujourd’hui la charge culturelle du vélo populaire. Des millions de vélos réparables sont détruits chaque année. Des centaines d’initiatives associatives sont ignorées, faute de cadre, de moyens ou de reconnaissance. Pendant ce temps, des projets plus médiatiques mais moins utiles sont valorisés. C’est cela, l’angle mort culturel de la transition écologique. Pour nous, c’est une évidence.
Si l’UNESCO a pour mission de reconnaître, préserver et transmettre les cultures, alors pourquoi pas aussi le vélo populaire ?
S’il est aujourd’hui si difficile de faire reconnaître le vélo populaire comme patrimoine immatériel, ce n’est pas par manque de spécificité. C’est parce que personne n’a pris la peine de le penser, de le cadrer, de le nommer. Ce flou ne vient pas de la pratique elle-même, mais il reflète un abandon symbolique. Ce qui n’est pas nommé ne peut être protégé. Ce qui n’est pas cadré reste vulnérable.
Le vélo populaire, dans ce qu’il implique de partage, de réparation, de recyclage, de transmission de savoir-faire , ne reçoit ni attention, ni protection.
Il ne faut pas attendre qu’il devienne folklorique ou « exotique » pour le rendre légitime. Ce que la société redécouvre… toujours trop tard
Nous croyons qu’il est temps pour le vélo populaire, comme pour d’autres pratiques autrefois jugées secondaires, de sortir de l’oubli. Prenons le compost : longtemps relégué au rang de déchet malodorant, une pratique archaïque, il est aujourd’hui reconnu comme une ressource cruciale pour restaurer les sols et nourrir nos cultures durablement. Il existe plusieurs pratiques qui sont en train d’être revalorisées. Ces pratiques n’ont pas changé. C’est le regard que la société leur porte qui a évolué. Elles sont redevenues légitimes, parce que nous avons compris, souvent trop tard, qu’elles portaient des réponses simples, durables, accessibles. Il en va de même pour le vélo populaire. Ce n’est pas une relique, ni un reste de pauvreté. C’est un savoir-faire modeste, mais fondamental.
Ne pas attendre qu’il devienne exotique
L’UNESCO cherche à préserver des pratiques culturelles en voie de disparition, souvent perçues comme folkloriques, désuètes ou exotiques. Mais s’il faut attendre que le vélo populaire entre dans cette catégorie pour le reconnaître, il sera trop tard. Le vélo populaire n’est pas un vestige du passé, c’est un outil vivant, actif, quotidien, modeste et mondialement répandu. Attendre qu’il disparaisse de nos rues, qu’il devienne rare ou pittoresque pour lui accorder une valeur patrimoniale serait un contresens tragique.
Ce serait envisager une reconnaissance posthume d’un outil dont la force est justement d’être encore là, dans les mains des gens ordinaires, dans leur vie réelle.
Il faut agir maintenant, tant que ce savoir-faire est encore transmis, tant que le vélo roule encore dans les quartiers, sur les chemins, à travers les vies. Il revient donc aux institutions de réparer cette invisibilité historique. Car si elles ne le font pas, qui le fera ?
Voici la lettre restée sans réponse : envoyé le Le jeudi 17 octobre 2024
À l’attention du Comité pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, UNESCO
Madame, Monsieur,
Nous, l’association Les Vélos Marin Martinique, œuvrons à promouvoir le vélo populaire comme un moyen de transport écologique, social et culturel, face à une pratique qui s’étiole et risque de disparaître, ici en Martinique comme dans de nombreuses autres régions du monde.
Inspirés par l’inscription récente de la yole martiniquaise au patrimoine immatériel de l’UNESCO, qui a eu des effets et des impacts en Martinique, nous aimerions explorer la possibilité de présenter le vélo populaire sous cet angle.
Le vélo populaire dépasse largement son rôle de simple mode de déplacement. Il est un vecteur puissant de lien social, de liberté, et il joue un rôle crucial dans la transition écologique tout en étant accessible aux populations les plus défavorisées. Il favorise également la cohésion intergénérationnelle et constitue une alternative démocratique à la mobilité. Nous croyons fermement qu’il existe une synergie évidente entre les valeurs portées par cette pratique et celles défendues par votre organisation.
Nous pensons qu’une reconnaissance du vélo populaire en tant que patrimoine immatériel constituerait un geste audacieux et innovant, avec des retombées positives considérables, tant sur le plan culturel que pour la valorisation de cette pratique à travers le monde.
Nous vous serions très reconnaissants de bien vouloir nous indiquer la procédure à suivre pour soumettre cette candidature, ainsi que l’éligibilité de cette pratique à une telle reconnaissance.
En vous remerciant par avance pour votre attention, nous restons disponibles pour tout complément d’information.
Cordialement,
Cyrille Morant Président de l’association Les Vélos Marin Martinique